...Agnès DELUME, metteur en scène de Roméo et Juliette
« La rencontre du théâtre et de la musique dans l’opéra
est une rencontre bouleversante»
est une rencontre bouleversante»
Figaro si,
Figaro là :
Agnès, vous signerez cet été la mise en
scène de Roméo et Juliette que nous présenterons dans plusieurs villes de la
région Poitou-Charentes. Pourriez-vous nous dire en quelques mots ce qui
caractérisera cette nouvelle production d’un point de vue scénique ?
Agnès Delume
: Pour
Roméo et Juliette le dispositif
scénique traversera le public par le milieu, c'est à dire que la scène sera
entourée par les spectateurs. L'action, les conflits des deux familles et les
rendez-vous de Roméo et de Juliette seront ainsi offerts en "volume",
en 3D si vous préférez. Les entrées et les sorties des personnages – et elles
sont très importantes au théâtre, elles donnent l'humeur, l'énergie, le
caractère de la scène – se feront à chaque extrémité de cette large
"avenue". Cela leur donnera un impact immédiat. Au-delà de ce
principe premier, nous tenterons de créer, par un moyen qu'on va encore garder secret, un espace imaginaire – un mirage – qui incarnera l'amour de Roméo et de Juliette
FSFL : Donc, pour vous, il est possible, voire souhaitable, d’inviter à s’émanciper
du strict respect de la période historique du récit original ?
AD : Il faut d'abord poser la
question : quelle est la véritable période historique de ce drame? Celle
des évocations des Capulets et Montaigus dans la Divine Comédie de Dante ? Celle du conte de Bandello? Celle de son adaptation par les poètes
anglais, puis par Shakespeare, la Renaissance, ou celle de Gounod et d'un 19ème
siècle en plein essor romantique ? Celle de Bernstein avec West Side Story ? Celle du film de
Zefirelli, avec Leonardo Di Caprio ? Il n'y a pas d'époque pour Roméo et Juliette. Dans le livret de
Gounod, il est écrit "jadis"...Dans Shakespeare, rien sur la date,
cela se passe à Verone, mais quelle Verone ? Celui qui raconte ou chante cette
histoire le fait parce qu'elle lui parle au moment où il la raconte ?
Nous avons fait le choix de nous affranchir du carcan d'une
époque trop ancienne afin de nous focaliser sur l'amour de Roméo et de Juliette
et sa contradiction fondamentale avec la société qui l'entoure…et cette
situation se vit à toutes les époques.
Nous n'avons pas non plus choisi une société particulière (comme Bernstein l'a
génialement fait avec ses jeunes des quartiers ouvriers blancs contre les
jeunes portoricains). Nous aurions pu en effet placer l'action en Palestine par
exemple, mais il y a malheureusement tant d'endroits où cette situation peut
s'imaginer qu'il m'a paru plus nécessaire de développer largement sur le
plateau la situation des personnages, la philosophie du poète et de les rendre
complémentaires de la musique de Gounod tout entière vouée à la puissance de l'amour..
FSFL : Après les Noces de Figaro, Rigoletto et les Cloches de Corneville, ce
sera donc la quatrième mise en scène que vous réaliserez pour nous. Vous avez
donc maintenant une grande expérience de nos spectacles sous chapiteau
itinérant. Quelles sont vos réflexions sur cette option qui caractérise les
productions de Figaro si, Figaro là ?
AD : Mettre en scène un opéra
sous chapiteau, implique des contraintes techniques assez rigoureuses et l'on
doit d'emblée renoncer à une vision frontale de l'oeuvre, à une esthétique de
l'image ou à des fastes de lumières impossibles à réaliser. En revanche, le
principe même du chapiteau produit le charme du théâtre ambulant, du monde du
cirque, donc de la poésie, la fragilité du fildefériste. J'aime me servir de
cette naïveté, de cette enfance, de ces situations simples mais vibrantes que
l'on retrouve justement dans l'opéra.
FSFL : Roméo et Juliette est sans doute l’un des mythes les plus féconds pour
les créateurs des cinq derniers siècles et, bien entendu, le génie de
Shakespeare le domine de toute sa puissance. Quel est votre avis sur l’opéra de
Gounod et comment concevez-vous le travail avec les artistes à partir de votre
double savoir-faire de metteuse en scène de théâtre et de chanteuse ?
AD : Comme je le disais plus
haut, chaque poète ou musicien, va marquer de sa volonté, de ses convictions et
de son instinct une histoire qu'il raconte. Les pièces de Shakespeare sont une
source d'inspiration intarissable pour les compositeurs. Gounod n'est pas de la
même époque que Shakespeare, pas du même mouvement culturel, et au travers de
son Roméo et Juliette, il impose sa
propre vision philosophique, ce qui est la marque des créateurs.
Le langage est moins violent (notamment à la fin de l'oeuvre)
mais la force de cet opéra est la densité de la musique qui contient tout le
propos. Peut-être faudrait-il seulement l'écouter en fermant les yeux. Une mise
en scène courageuse serait peut-être cela : des chanteurs rêvant sur le plateau
et des spectateurs à demi couchés et fermant les yeux !
Mais nous combattrons nous aussi, pour faire exister la
force des personnages de Shakespeare. Le théâtre sera incarné par Roméo et la musique par Juliette. Donc le
travail avec les chanteurs sera de les diriger comme s'ils jouaient la pièce de
Shakespeare, les encourager à ne pas illustrer la musique de façon romantique,
mais jouer les situations telles qu'elles sont, être à l'écoute de son
partenaire, savoir vers quels objectifs va l'interprétation. Plus un chanteur
fait un travail d'acteur, c'est à dire un travail concret, plus il chante
librement ; il ne pense pas à sa voix, il pense comme son personnage et
c'est ce qu'a écrit le compositeur.
FSFL : et le travail avec
le chef d’orchestre ?
AD : Joséphine Baker chantait : j'ai deux amours, mon pays et Paris. Je chanterai
bien aussi, j'ai deux amours : le théâtre et la musique. Ce n'est pas toujours
facile d'équilibrer les deux pour un spectacle. On a tendance à penser que dans
l'opéra la musique est la priorité et c'est vrai d'une certaine façon, mais
encore faut-il penser la musique de façon théâtrale.
C'est, je crois, ce que nous parvenons à faire depuis quatre
ans avec Eric Sprogis. La chance que j'ai, c'est qu'il aime le théâtre (même
sans musique) et qu'on peut faire un travail commun d'interprétation et aller
dans le même sens. Le chef d'orchestre est un personnage théâtral très
important dans l'opéra, que le metteur en scène doit prendre en compte, au-delà
de la direction de l'orchestre et des chanteurs. En effet, il est une sorte de
démiurge, de médiateur entre l'oeuvre et le public, il est l'acteur principal.
Il est donc important qu'il puisse être d'accord avec la mise en scène, car
c'est lui au cours de la représentation qui en tient la cohérence.
FSFL : Que dire à quelqu’un qui hésite à venir assister à notre spectacle
parce qu’il n’a pas l’expérience de l’opéra ?
AD : Je dirais que l'opéra par cette
rencontre du théâtre et de la musique, est une expérience unique, et souvent
bouleversante. Quelle que soit la mise en scène, qu'elle soit contemporaine,
traditionnelle, choquante ou simplement divertissante, il y a dans cette
singulière aventure humaine et chantante, une étrangeté troublante. Alors,
quand la musique rencontre l'élan de personnages incarnés avec force, cela
produit un cocktail d'émotions qui peut marquer bien longtemps après le soir du
spectacle. C'est notre désir avec ce Roméo
et Juliette, auquel le choeur de jeunes gens donnera une dimension de
jeunesse et d'impétuosité. C'est aussi un avantage, si on est pas un ou une
aficionado de l'opéra, de le découvrir pour la première fois, sans préjugés,
comme un enfant.
FSFL
: Merci pour votre contribution et à très
bientôt sous le Chapiteau-Opéra.
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