8 juil. 2015

Roméo & Juliette - Rendez-vous avec...


...Agnès DELUME, metteur en scène de Roméo et Juliette

  « La rencontre du théâtre et de la musique dans l’opéra
est une rencontre bouleversante»

 

 Figaro si, Figaro là : Agnès, vous signerez cet été la mise en scène de Roméo et Juliette que nous présenterons dans plusieurs villes de la région Poitou-Charentes. Pourriez-vous nous dire en quelques mots ce qui caractérisera cette nouvelle production d’un point de vue scénique ?

Agnès Delume : Pour Roméo et Juliette le dispositif scénique traversera le public par le milieu, c'est à dire que la scène sera entourée par les spectateurs. L'action, les conflits des deux familles et les rendez-vous de Roméo et de Juliette seront ainsi offerts en "volume", en 3D si vous préférez. Les entrées et les sorties des personnages – et elles sont très importantes au théâtre, elles donnent l'humeur, l'énergie, le caractère de la scène – se feront à chaque extrémité de cette large "avenue". Cela leur donnera un impact immédiat. Au-delà de ce principe premier, nous tenterons de créer, par un moyen qu'on va encore  garder secret,  un espace imaginaire – un mirage –  qui incarnera l'amour de Roméo et de Juliette

FSFL : Donc, pour vous, il est possible, voire souhaitable, d’inviter à s’émanciper du strict respect de la période historique du récit original ?

AD : Il faut d'abord poser la question : quelle est la véritable période historique de ce drame? Celle des évocations des Capulets et Montaigus dans la Divine Comédie de Dante ? Celle du conte de Bandello?  Celle de son adaptation par les poètes anglais, puis par Shakespeare, la Renaissance, ou celle de Gounod et d'un 19ème siècle en plein essor romantique ? Celle de Bernstein avec West Side Story ? Celle du film de Zefirelli, avec Leonardo Di Caprio ? Il n'y a pas d'époque pour Roméo et Juliette. Dans le livret de Gounod, il est écrit "jadis"...Dans Shakespeare, rien sur la date, cela se passe à Verone, mais quelle Verone ? Celui qui raconte ou chante cette histoire le fait parce qu'elle lui parle au moment où il la raconte ?

Nous avons fait le choix de nous affranchir du carcan d'une époque trop ancienne afin de nous focaliser sur l'amour de Roméo et de Juliette et sa contradiction fondamentale avec la société qui l'entoure…et cette situation se vit  à toutes les époques. Nous n'avons pas non plus choisi une société particulière (comme Bernstein l'a génialement fait avec ses jeunes des quartiers ouvriers blancs contre les jeunes portoricains). Nous aurions pu en effet placer l'action en Palestine par exemple, mais il y a malheureusement tant d'endroits où cette situation peut s'imaginer qu'il m'a paru plus nécessaire de développer largement sur le plateau la situation des personnages, la philosophie du poète et de les rendre complémentaires de la musique de Gounod tout entière vouée  à la puissance de l'amour.. 

FSFL : Après les Noces de Figaro, Rigoletto et les Cloches de Corneville, ce sera donc la quatrième mise en scène que vous réaliserez pour nous. Vous avez donc maintenant une grande expérience de nos spectacles sous chapiteau itinérant. Quelles sont vos réflexions sur cette option qui caractérise les productions de Figaro si, Figaro là ?

AD : Mettre en scène un opéra sous chapiteau, implique des contraintes techniques assez rigoureuses et l'on doit d'emblée renoncer à une vision frontale de l'oeuvre, à une esthétique de l'image ou à des fastes de lumières impossibles à réaliser. En revanche, le principe même du chapiteau produit le charme du théâtre ambulant, du monde du cirque, donc de la poésie, la fragilité du fildefériste. J'aime me servir de cette naïveté, de cette enfance, de ces situations simples mais vibrantes que l'on retrouve justement dans l'opéra.

FSFL : Roméo et Juliette est sans doute l’un des mythes les plus féconds pour les créateurs des cinq derniers siècles et, bien entendu, le génie de Shakespeare le domine de toute sa puissance. Quel est votre avis sur l’opéra de Gounod et comment concevez-vous le travail avec les artistes à partir de votre double savoir-faire de metteuse en scène de théâtre et de chanteuse ?

AD : Comme je le disais plus haut, chaque poète ou musicien, va marquer de sa volonté, de ses convictions et de son instinct une histoire qu'il raconte. Les pièces de Shakespeare sont une source d'inspiration intarissable pour les compositeurs. Gounod n'est pas de la même époque que Shakespeare, pas du même mouvement culturel, et au travers de son Roméo et Juliette, il impose sa propre vision philosophique, ce qui est la marque des créateurs.
Le langage est moins violent (notamment à la fin de l'oeuvre) mais la force de cet opéra est la densité de la musique qui contient tout le propos. Peut-être faudrait-il seulement l'écouter en fermant les yeux. Une mise en scène courageuse serait peut-être cela : des chanteurs rêvant sur le plateau et des spectateurs à demi couchés et fermant les yeux !
Mais nous combattrons nous aussi, pour faire exister la force des personnages de Shakespeare. Le théâtre  sera incarné par  Roméo et la musique par Juliette. Donc le travail avec les chanteurs sera de les diriger comme s'ils jouaient la pièce de Shakespeare, les encourager à ne pas illustrer la musique de façon romantique, mais jouer les situations telles qu'elles sont, être à l'écoute de son partenaire, savoir vers quels objectifs va l'interprétation. Plus un chanteur fait un travail d'acteur, c'est à dire un travail concret, plus il chante librement ; il ne pense pas à sa voix, il pense comme son personnage et c'est ce qu'a écrit le compositeur.

FSFL : et le travail avec le chef d’orchestre ?

AD : Joséphine Baker chantait : j'ai deux amours, mon pays et Paris. Je chanterai bien aussi, j'ai deux amours : le théâtre et la musique. Ce n'est pas toujours facile d'équilibrer les deux pour un spectacle. On a tendance à penser que dans l'opéra la musique est la priorité et c'est vrai d'une certaine façon, mais encore faut-il penser la musique de façon théâtrale.
C'est, je crois, ce que nous parvenons à faire depuis quatre ans avec Eric Sprogis. La chance que j'ai, c'est qu'il aime le théâtre (même sans musique) et qu'on peut faire un travail commun d'interprétation et aller dans le même sens. Le chef d'orchestre est un personnage théâtral très important dans l'opéra, que le metteur en scène doit prendre en compte, au-delà de la direction de l'orchestre et des chanteurs. En effet, il est une sorte de démiurge, de médiateur entre l'oeuvre et le public, il est l'acteur principal. Il est donc important qu'il puisse être d'accord avec la mise en scène, car c'est lui au cours de la représentation qui en tient la cohérence.

FSFL : Que dire à quelqu’un qui hésite à venir assister à notre spectacle parce qu’il n’a pas l’expérience de l’opéra ? 

AD : Je dirais que l'opéra par cette rencontre du théâtre et de la musique, est une expérience unique, et souvent bouleversante. Quelle que soit la mise en scène, qu'elle soit contemporaine, traditionnelle, choquante ou simplement divertissante, il y a dans cette singulière aventure humaine et chantante, une étrangeté troublante. Alors, quand la musique rencontre l'élan de personnages incarnés avec force, cela produit un cocktail d'émotions qui peut marquer bien longtemps après le soir du spectacle. C'est notre désir avec ce Roméo et Juliette, auquel le choeur de jeunes gens donnera une dimension de jeunesse et d'impétuosité. C'est aussi un avantage, si on est pas un ou une aficionado de l'opéra, de le découvrir pour la première fois, sans préjugés, comme un enfant.

FSFL : Merci pour votre contribution et à très bientôt sous le Chapiteau-Opéra.





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